
23 Juin Oral 2016: « Bérénice » (IV, 5)
Problématique posée aujourd’hui sur Bérénice (IV, 5) de Racine:
Quelle représentation du pouvoir est donnée à travers l’exemple et les choix de Titus?
Titus
Je sais tous les tourments où ce dessein me livre,
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon cœur de moi-même est prêt à s’éloigner,
Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner.
Bérénice
Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais: adieu…
Pour jamais ! Ah, Seigneur! Songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.
Titus
Je n’aurai pas, Madame, à compter tant de jours.
J’espère que bientôt la triste Renommée
Vous fera confesser que vous étiez aimée.
Vous verrez que Titus n’a pu, sans expirer…
Bérénice
Ah Seigneur! S’il est vrai, pourquoi nous séparer ?
Je ne vous parle point d’un heureux hyménée ;
Rome à ne plus vous voir m’a-t-elle condamnée ?
Pourquoi m’enviez-vous l’air que vous respirez ?
Titus
Hélas ! vous pouvez tout, Madame : demeurez,
Je n’y résiste point. Mais je sens ma faiblesse :
Il faudra vous combattre et vous craindre sans cesse,
Et sans cesse veiller à retenir mes pas,
Que vers vous à toute heure entraînent vos appas.
Que dis-je ? En ce moment mon cœur, hors de lui-même,
S’oublie, et se souvient seulement qu’il vous aime.
Bérénice
Eh bien, Seigneur, eh bien ! Qu’en peut-il arriver ?
Voyez-vous les Romains prêts à se soulever ?
Titus
Et qui sait de quel œil ils prendront cette injure ?
S’ils parlent, si les cris succèdent au murmure,
Faudra-t-il par le sang justifier mon choix ?
S’ils se taisent, Madame, et me vendent leurs lois,
A quoi m’exposez-vous ? Par quelle complaisance
Faudra-t-il quelque jour payer leur patience ?
Que n’oseront-ils point alors me demander ?
Maintiendrai-je des lois que je ne puis garder ?
Bérénice
Vous ne comptez pour rien les pleurs de Bérénice !
Titus
Je les compte pour rien ? Ah ciel ! Quelle injustice !
Bérénice
Quoi ? pour d’injustes lois que vous pouvez changer,
En d’éternels chagrins vous-même vous plonger ?
Rome a ses droits, Seigneur : n’avez-vous pas les vôtres ?
Ses intérêts sont-ils plus sacrés que les nôtres ?
Dites, parlez.
Titus
Hélas ! Que vous me déchirez !
Bérénice
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !
Titus
Oui, Madame, il est vrai, je pleure, je soupire,
Je frémis. Mais enfin, quand j’acceptai l’empire,
Rome me fit jurer de maintenir ses droits :
Je dois les maintenir.
Pas de commentaire